Mes très chers parents,
Le temps passe. Le mauvais temps aussi d’ailleurs. Voila maintenant plusieurs jours que je n’ai pas pris le temps de vous écrire. Je suis impardonnable. Car on ne peut pas dire que mon séjour sur les rives du lac du Bourget soit trépidant. Cela ne me dérange point au demeurant. Vous savez que je suis plus une adepte des vacances calmes et reposantes que des congés vécus à cent à l’heure. J’ai trouvé à Aix les Bains le cadre parfait pour cela. Ici je peux prendre mon temps, loin de la trépidation parisienne. Parfois je me prends un peu pour Lamartine, en contemplant le lac. D’ailleurs il faudra que j’aille un jour sur le site d’où le poète posait son regard sur le lac.
En attendant, ces derniers jours, c’est une toute autre excursion que je me suis offerte. Quelque chose d’un peu plus sportif. Mon hôtelier, un homme charmant qui plairait beaucoup à maman, a eu la gentillesse de me déposer en voiture à l’ancienne gare du téléphérique qui montait jadis jusqu’au sommet du Revard. Comme vous pouvez le voir, ce qui reste du bâtiment est en bien piteux état. Quelle tristesse de voir ainsi cet objet du patrimoine de la ville laissé dans cet état d’abandon. C’est d’autant moins compréhensible qu’il a été racheté par l’agglomération il y a quelques années. Quand on voit son état actuel, on se demande bien pourquoi faire, et ce que les décideurs de l’époque avaient en tête en procédant à cette acquisition.
En chemin, Monsieur Paul (c’est mon hôtelier, mais je vous rassure, sa conduite est bien plus prudente que celle du Monsieur Paul du tunnel de l’Alma) m’a expliqué qu’une association locale militait depuis plus de dix ans pour la remise en service de l’ancien chemin de fer à crémaillère qui desservait lui aussi le Revard, depuis le centre même d’Aix les Bains. Lui serait plus favorable à une remise en service du téléphérique, qui coûterait moins cher. Et qui permettrait aussi de sauver ce bâtiment dont on devine, malgré son état actuel de ruine, qu’il n’est pas dénué de charme.
Enfin bref, depuis cette ancienne gare, je me suis donc rendue à pied jusqu’au sommet du Revard. J’aime autant vous dire que la pente est parfois rude. Mais quel plaisir de respirer cet air pur et frais. Quelle joie de découvrir de ci de là un panorama grandiose sur le lac et les montagnes environnantes. Quel délice de déguster un bon morceau de tomme ou de chevrotin dans une ferme du plateau. Et quel régal de savourer un Vichy-fraise bien frais confortablement installée à la terrasse du restaurant situé tout au sommet, dans ce qui fut autrefois la gare d’arrivée du téléphérique. Mais quel dommage que le plaisir soit un peu gâché par de récents aménagements réalisés précisément sur ce sommet. Les dépliants touristiques vantent le lieu comme étant le deuxième site naturel le plus visité de Savoie. Ma foi, de ce que j’ai vu, je ne sais pas très bien où est le naturel dans tout cela. Des allées toutes droites. Des arbustes plantés bien alignés. Des barrières en bois mais surmontées de grillages métalliques du plus mauvais goût. La nature a de biens curieuses mœurs par ici. A ce que m’ont dit des personnes dignes de confiance, nombre de matériaux utilisés dans ce chantier « naturel » ont même été approvisionnés depuis fort loin : depuis l’Inde et même la Chine !
Je n’ai pas pu hélas garder une trace de mon passage en ces lieux. A force de me laisser vivre tranquillement, j’avais oublié de recharger la batterie de mon appareil photo, qui a rendu l’âme à mi-pente. Ce n’est que partie remise. Monsieur Paul m’a promis que nous remonterions au Revard pour y ramasser des baies sauvages. Il parait que le plateau regorge de framboises, de myrtilles et d’airelles. Nous sommes déjà convenus ensemble de remonter jusqu’au sommet pour que je puisse prendre des photos. Et aussi pour que je puisse l’inviter à diner pour le remercier de sa gentillesse et de son accueil. En tout bien tout honneur, n’allez rien vous imaginer, son épouse et sa fille devant nous accompagner.
A propos de gentillesse, je ne pense pas vous avoir déjà dit qu’ici les gens sont généralement charmants. Et accueillants. J’ai beau n’être qu’une touriste, une pièce rapportée, à aucun moment je n’ai eu la désagréable impression d’être perçue comme un simple porte-monnaie dont il faudrait vider le contenu. Ce qui m’est arrivé plus d’une fois dans mes pérégrinations estivales dans notre cher pays. Il règne ici un certain art de vivre. Peut-être un peu désuet, mais tellement agréable. Il est à craindre, hélas, qu’il ne perdure plus très longtemps. Car d’aucuns, sous prétexte de faire plus jeune et plus dynamique, sont en train de le mettre à mal. Vous verriez la rue principale, qui fait la grande fierté du maire, elle regorge de ces enseignes franchisées qu’on trouve partout ailleurs en France, et il y a une agence immobilière à presque tous les coins de rue. On dirait que se joue ici une grande partie de Monopoly. Et si ça continue sur le rythme actuel, il faut redouter que d’ici quelques années tout au plus, il ne reste plus grand-chose de ce charme certes un peu d’antan, mais aussi tellement d’actualité, et tellement apprécié.
Vous ai-je dit que l’homme qui officie au poste de maire depuis plus de 10 ans maintenant ne réside toujours pas à Aix les Bains ? Je ne sais plus. Mais je trouve cela très choquant. Je me souviens de ce que disait papa du temps où il était élu. Quand on veut être maire d’une ville ou d’un village, on doit y habiter. Sinon on n’est rien d’autre qu’un carriériste. Ses propos prennent ici tout leur sens me semble-t-il.
Voila pour toutes les nouvelles de ces derniers jours. J’espère que vous vous portez bien.
Je vous embrasse affectueusement.
Votre fille.
EDITH
Post-scriptum : j’ai fait lire cette lettre à Monsieur Paul avant de vous la poster. Il m’a complimenté pour mon style, et m’a dit qu’il avait le même genre de charme désuet que sa ville d’Aix les Bains qu’il aime tant. Je crois que j’ai un peu rougie tant le compliment était bien tourné. J’espère qu’il ne cachait aucune mauvaise intention. Même à Aix les Bains, l’été est si propice aux rencontres amoureuses fugaces.