Il y a trois semaines, nous écrivions que rien ne justifiait la vente des sources thermales (lire par ailleurs). Notre argument était de dire que l’on aurait très bien pu (du) non pas vendre les sources, mais plutôt concéder à Valvital un droit d’exploitation non exclusif. Ce qui aurait permis, entre autres, de laisser la porte ouverte pour l’implantation d’autres établissements thermaux, y compris des plus petits. Après tout, il parait que la concurrence est un bon moteur pour l’économie. Et ce n’est pas Dord qui dira le contraire, lui qui a toujours soutenu les ouvertures à la concurrence des télécommunications, de l’électricité, du gaz, des trains, du courrier … etc.
Mais à bien y réfléchir, on peut aussi se demander pourquoi il était absolument nécessaire de vendre les thermes Chevalley eux-mêmes. Et on a bien du mal à trouver des réponses satisfaisantes à cette question.
UN PATRIMOINE DE PLUS DE 70 MILLIONS BRADÉ À SEULEMENT 3 MILLIONS
Certes, la santé financière de l’entreprise thermale n’était pas au mieux. Loin s’en faut. La faute à qui ? Ce n’est pas le sujet de cet article. Souvenons-nous simplement qu’en 2000, quand le candidat Dord promettait monts et merveilles (et notamment plus de 40.000 curistes d’ici à 2005) à propos des thermes, ceux-ci faisaient encore des bénéfices et enregistraient la venue annuelle de près de 35.000 curistes. 10 ans plus tard, ils ne sont plus que 25.000, et le déficit atteint des gouffres abyssaux. Alors, que l’état ait jugé comme nécessaire de se débarrasser de cette entreprise en piteux état financier, cela peut se comprendre. Au passage, on peut cependant regretter que depuis 10 ans, au plus haut niveau, on ai laissé la situation se dégrader sans rien faire. Allant jusqu’à laisser les rênes de l’établissement à un député-maire sans la moindre expérience du thermalisme et à un directeur ex-député du même bord qui n’y entendait rien non plus dans ce domaine.
Alors oui, d’accord. L’état a entre les mains une société en faillite. Petite parenthèse : quand en 2007 le magazine Aix’Aspérant « prophétisait » sur la faillite des thermes, Dord hurlait au loup, clamant que jamais ô grand jamais une telle chose n’arriverait. Hélas si, c’est bel et bien arrivé. Parenthèse refermée. Mais si la société est en faillite, cela ne l’empêche pas de posséder un patrimoine matériel dont la valeur est considérable. A commencer par ses sources thermales. Auxquelles on peut ajouter sa blanchisserie qui ferait pâlir d’envie plus d’un professionnel du secteur. Pour faire bon poids bonne mesure, ajoutons-y quelques hectares de terrains constructibles de ci de là, un parc de verdure avec ses kiosques et son restaurant, et un théâtre à ciel ouvert utilisé pendant toute la saison estivale, moyennant paiement d’une redevance, par les organisateurs de spectacles. Et bien sûr, ajoutons encore dans le panier le fleuron de tout ce patrimoine, le navire amiral du thermalisme aixois (dixit Dord), les thermes Chevalley, le plus bel établissement thermal d’Europe (toujours dixit Dord). Des thermes inaugurés il y a un peu plus de 10 ans, avec 3 unités de soins ultramodernes, et un centre de bien-être très apprécié.
La valeur de tout ce patrimoine matériel dépasse très probablement les 70 millions d’euros. Financés en intégralité avec de l’argent public. Le votre, chers contribuables. Et on a beau chercher, on ne voit pas pourquoi ce patrimoine a été cédé à Valvital. Et encore moins pourquoi il a été cédé pour seulement 3 millions d’euros.
En l’espèce, il semble que l’évaluation faite de la valeur des thermes soit basée uniquement sur la valeur de l’entreprise. Une approche qui ne prend en compte que la rentabilité (réelle et potentielle) sans tenir compte le moins du monde de la valeur patrimoniale des biens de l’entreprise. C’est pour le moins surprenant dans le cas des thermes. Pour la bonne et simple raison que la majeure partie du patrimoine en question constitue leur outil de travail. Un outil indispensable et donc indissociable du reste de l’entreprise. Cédez le fond de commerce sans vendre l’outil de travail, et l’acheteur se retrouve avec une clientèle de 25.000 curistes générant 15 millions de chiffre d’affaires … mais c’est une clientèle virtuelle dont il ne peut rien faire pour la bonne et simple raison qu’il ne dispose d’aucun lieu pour l’accueillir, d’aucun moyen pour exercer son activité. Pourtant, dans l’évaluation des thermes, la valeur de son patrimoine a de toute évidence été totalement ignorée. C’est la seule explication plausible au fait que plus de 70 millions d’euros de patrimoine se retrouvent bradés pour 3 petits millions.
Ensuite, que la valeur vénale de l’entreprise ait été évaluée à la seule valeur du rachat de sa dette, pourquoi pas. Sur ce point, on rejoint même Dominique Dord quand il dit qu’une entreprise ne vaut que ce qu’un acheteur veut bien y mettre. Tout en regrettant que lui-même, au nom de la collectivité, ait choisi de ne pas proposer plus d’un euro symbolique. Tout en regrettant que depuis 10 ans, il ait refusé d’accorder une chance à la reprise des thermes aixois par une SEM qui aurait pu regrouper la ville, le département, la région, et des investisseurs privés.
RIEN N’OBLIGEAIT L’ÉTAT À VENDRE LES THERMES À VALVITAL
Que l’état choisisse de brader le patrimoine public à un tel point, c’est déjà surprenant. Encore que, ce n’est pas une première en la matière. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que dans le cas présent, il lui était très facile de conserver ce patrimoine dans le giron public. Soit dans le domaine de l’état lui-même. Soit dans celui des collectivités locales. Lesquelles ont d’ailleurs financé en partie la construction de Chevalley. C’était très simple : il suffisait d’un côté de rétrocéder le patrimoine aux collectivités, pour un euro symbolique, et de l’autre côté de vendre le fond de commerce à qui en voudrait bien. En l’assortissant bien évidemment d’un droit d’usage du patrimoine sur une période assez longue (au moins 20 ans ?). Droit d’usage qui aurait pu être payant, la charge de l’entretien des bâtiments revenant alors aux collectivités propriétaires, ou gratuit, charge alors au preneur de supporter également les coûts d’entretien voire d’agencement.
Ce dernier schéma correspond d’ailleurs à ce qui a été fait dans l’aile sud des anciens thermes pour l’école Peyrefitte. En contrepartie d’un loyer dérisoire (5.000 euros par an les 3 premières années puis 10.000 euros par an depuis 2010), celle-ci occupe 1.000 m² au 1er étage. Une surface qu’elle a agencée à ses frais, et pour laquelle elle participe aux frais d’entretien (même si à côté elle n’a pas déboursé un centime pour les travaux de rénovation du hall et des ascenseurs, dont elle profite pourtant au quotidien).
Mais c’est un fait : l’état aurait pu transférer la propriété des thermes Chevalley et de l’ensemble du patrimoine aux collectivités publiques locales, qui auraient ensuite passé un accord avec un exploitant (Valvital ou autre) pour l’exercice de l’activité thermale. C’est d’ailleurs ce mode de fonctionnement qu’envisageait les socioprofessionnels aixois. Preuve supplémentaire que cette solution était possible, et que rien n’obligeait l’état à céder le patrimoine des thermes à Valvital (ou à un autre repreneur).
La question qui reste une fois que l’on a dit tout cela, c’est pourquoi diable avoir vendu le patrimoine public des thermes ? Et pourquoi l’avoir bradé à un prix aussi dérisoire ? S’il existe, parmi tous les décideurs impliqués dans cette affaire, une personne qui accepterait de céder son patrimoine personnel au 1/20ème de sa valeur, on aimerait bien la rencontrer. Pour qu’elle nous explique son raisonnement. Et aussi, accessoirement, pour lui acheter son patrimoine ! Parce que nous aussi on veut bien profiter de cadeaux aussi généreux. Et on veut bien parier quelques kopecks qu’on n’est pas les seuls dans ce cas !
Mais comme il est peu probable qu’il se trouve parmi les décideurs de la vente des thermes une personne qui accepterait de brader ainsi son patrimoine personnel, on aimerait bien que les décideurs en question nous expliquent pourquoi ils ont accepté de le faire, s’agissant du patrimoine public. Ils nous semble que tous les contribuables de France, dont une partie des impôts a servi à financer les thermes Chevalley, ont le droit à cette explication.